Troisième histoire - Pour la jouissance posthume des aïeux - Part 24

 

Aux obsèques du patriarche. Maurice, Monique et trois des autres enfants furent présents, Serge et Florence ne vinrent pas, ils avaient refusé de retrouver l'ensemble de la famille. Il faut dire que Florence avait été vertement sortie du domaine pour l'obliger à aller faire sa vie... ce qu'elle avait toujours du mal à assumer, plutôt enfermée dans sa colère contre la tribu. Quant à Serge, le lama moine, il errait de lieu de vie en lieu de vie, cheminant sur la Voie - c'est du moins ce qu'ils se racontaient entre “cheminant” - D'autres membres associés au clan sauf Jacques que personne n'avait réussi à contacter aux USA, étaient présents à la cérémonie, les autres lignées - Gilberte, Georges et Jean - ne furent pas invitées, des indigents qu’on ne connaissait plus. Etaient aussi là, les familles des autres domaines de la région dont le Georges de la Martinière, très affaibli par les affres du temps et les vapeurs d'alcool. Des notables de Cirey, quelques figures du village, les membres de l'association de chasse alors que ni le patriarche ni Maurice ne chassaient, les représentants de la coopérative viticole - à laquelle Robert vouait une détestation sans limite - il fallait se montrer et un enterrement est une aussi bonne occasion qu'une remise de médaille du mérite agricole pour cela. Pourtant, personne n'était dupe du peu de liens amicaux que les Vireley entretenaient avec le pays. Tout particulièrement le défunt.

Personne ne savait, même pas Monique, l'état d’avancement de la maladie de Maurice. Il sentait bien que sa puissance diminuait au fur et à mesure que l'excroissance sigmoïdienne se développait en se nourrissant de et sur ses intestins. Les trois frères de la loge présents pour l'accompagner sur ce chemin de deuil savaient, eux, pour le cancer qui le rongeait.

Maurice et Monique n'avaient plus de liens amoureux ni tendres et encore moins intimes depuis la naissance de Nicole, ce qui correspondait aussi à l'arrivée de Georges dans la vie des Vireley. L'association commerciale des deux domaines pour l'export avait très bien réussi. Le rapprochement ayant pour but la mutualisation des outils et des réseaux qui avait ouvert un espace de croissance financière, n'avait pas prévu ni imaginé la mutualisation de la femme mère du clan Vireley.

Chacun en cheminant vers le cimetière du village en profitait pour faire étalage de son vécu. Gilbert dirigeait son agence bancaire dijonnaise. Il était marié, avait deux enfants - un garçon et une fille -, un mode de vie standard aux attendus de la famille traditionnelle catholique petite bourgeoise. La femme discrète et les deux marmots indifférents marchaient en arrière de lui. Nadine, médecin anesthésiste, officiait dans un service hospitalier lyonnais, célibataire, par manque de temps, elle refusait de risquer sa carrière pour se consacrer à une vie de famille. Nicole, dirigeait une école maternelle catholique privée à Grenoble, mariée, une enfant, très active dans les activités de sa paroisse. Le mari et sa progéniture étaient restés volontairement loin du clan.

Robert fut accompagné jusqu'à son dernier chai, le caveau familial, une concession permanente datant du XVIIIe ou gisaient les ancêtres, les grands-parents et quelques oncles et tantes restés dans le pays. Un monument important de style faussement gothique qui pouvait encore accueillir deux ou trois générations, pourvu que les enfants quittent le pays ou, modernes, choisissent la crémation, avant qu'on ne se lance dans un regroupement de restes pour gagner de la place.

Maurice suivit son père dans la dernière cuve familiale quelques mois plus tard, emporté par le trop de père qui l'avait rongé et tué. Logiquement c'est Roger qui prit les commandes du domaine. La perte de son grand-père et de son père à quelques mois d'intervalles le secoua profondément. Il n'avait pas eu le temps de se fabriquer une vie amoureuse ni familiale, trop investi dans le travail. Avançant en âge, sans perspective de paternité donc de transmission... l'angoisse l'assaillit. Son père était hyperactif, le grand-père omniprésent. C’étaient deux hommes puissants qu'il ne se sentait pas la force d'égaler. Son peu d'appétence pour les clubs, clans, groupes, partis et associations fit qu'on ne voyait son nom nulle part à la suite de celui de son père et de son grand-père.

Pourtant, Roger avait le plus grand respect pour les frères du G.O.D.F toujours présents durant la maladie de son père et à ses côtés lors de ses obsèques. En mettant en ordre les affaires de son père, il trouva la carte de JF.Theud qui finalement avait été précieusement archivée dans le tiroir fermé à clef du bureau du domaine. Cela lui sembla un grand signe de confiance et de respect que son père ait choisi de conserver cette carte. Reprenant plus amplement les activités commerciales du domaine, il se mit, lui aussi à se déplacer dans les régions alentours, la Suisse, le Luxembourg, l'Alsace et l'Allemagne. Souvent, son trajet passait en Lorraine... Et donc au fil de la Moselle du côté de chez Theud. Il prit la décision un jour de prendre rendez-vous avec le thérapeute de Charmes. Il vira le vieux de la Martinière de son territoire au grand regret de sa mère qui se vouait corps et âme, évidemment, à la religion. Elle se faisait pardonner en pratiquant régulièrement au sein d'une communauté charismatique toute proche à Paray le Monial.

Très souvent seul, Roger fit néanmoins du Haut Nolay un des plus puissants domaines des côtes de Beaune mais ne trouva pas de compagne. Il n'aimait peut-être pas les femmes... Il pensait avec certitude ne pas aimer les hommes non plus... Il n'y avait pas eu de désir charnel ou amoureux dans son histoire. Pas de masturbation adolescente, pas d'envie de paternité... le fils de Gilbert héritera… Roger atteignait la quarantaine en ayant consacré toute sa vie de jeune homme puis d'homme au domaine et il faut bien l'avouer aussi d'une certaine manière aux frères de la veuve, en respectant cette mémoire de son père. Il n'avait pas touché aux installations et décorations symboliques parsemées dans la propriété. Ce qu'il dit et clarifia chez Theud de sa trajectoire de vie l'amena petit à petit à comprendre son non-choix d’objet d’amour et ce pourquoi il n'aurait jamais d'enfant.