Troisième histoire - Pour la jouissance posthume des aïeux - Part 21

 

Mais les frères qui connaissent son vécu savent bien ses inflexions rationalistes et comptent sur lui pour taire son éducation chrétienne, - pas de Dieu quel qu’il soit au G.O.D.F -. Un temps il avait pensé se rapprocher d’une autre obédience masculine faisant référence à Dieu mais les personnalités qu’il y connaissait le repoussaient tellement elles montraient de la suffisance et de l’intolérance.

Il lui faudra aussi bien cloisonner ses activités de maçon et de rotarien, le siège US du club ayant quasiment interdit la double pratique depuis 1930.

Durant l'homélie du père Joseph, sur les bienfaits de la chasteté avant le mariage - voire après, selon les principes pauliniens - et les valeurs de l'engagement dans le mariage pour la vie éternelle devant Dieu, Maurice ne cessa de penser à Georges son compère, un voisin de terres, et à sa femme, là assis face au curé -  Georges, ce concurrent du domaine de la Martinière ! - il serra les dents et les poings pensant plus à Jésus chassant les marchands du temple à coups de pieds dans leurs culs que l'autre Jésus tendant sa joue pour prendre une nouvelle gifle.

Georges est en effet très présent, voire trop présent. Il semble passer autant de temps chez lui que sur son propre domaine. Monique en est plus que ravie... malheureusement pour son mari. Et les enfants sont les témoins, surtout l'aînée, des visites et des moments charmants que Monique et Georges passent ensemble tandis que chacun s'affaire pour ne rien voir.

Finalement, lui aussi préfère ne rien voir et ne rien en dire. Alors ce sont les ouvriers viticoles et les enfants qui prennent et récoltent ses colères et ses rancœurs. Mais aussi en pensées tout l'aréopage catholique de la contrée qu'il considère bien hypocrite. Car tout Cirey sait que Monique est emportée, très joyeuse, radieuse en la présence de Georges. Le café des sports du centre du village ne dégorge pas d’enchères quant au nombre de ramures ancrées sur le sommet du crâne de Maurice.

Lui, donne le change par le travail, les revenus du domaine, sa renommée, celle de la famille et bien sûr se ressource grâce à ses liens avec le club et les travaux de sa loge. Le témoin privilégié de ces malversations doctrinales où les valeurs chrétiennes ancrées dans la terre, à l'instar des familles du cru, sont aussi malmenées que les êtres humains, est la fille aînée, Florence. La jeune fille aurait pu faire des études et suivre son projet s'il n'y avait pas tant de travail au domaine… parce que maman n'est pas à la hauteur, parce que maman n'est pas disponible et que ses frères et sœurs sont plus jeunes et ne font pas grand-chose. Et que papa « gueule » tout le temps.

Alors elle s'active, petite fourmi dans une très grande maison et elle en oublie ses rêves et ses études. Elle en délaisse aussi ses amours, sa vie intime et renonce à tout avenir socioprofessionnel emportée dans un sentiment de sacrifice inéluctable.

Serge s’embarqua vers fin des années 90 dans une retraite auprès des moines bouddhistes de La Boulaye. Il voulait devenir Lama. Décision terrible pour cette famille. Maurice et Monique anciens de la JOC imprégnés de l’esprit catholique familial ne supportèrent pas de le voir entrer dans cette secte de fous habillés en rouge - les toges des lamas d'obédience tibétaine sont en effet de couleur carmin avec des liserés or – rouge comme les communistes. Ils ne cherchèrent jamais à comprendre ni la pensée des hommes en toge ni ne s’intéressèrent vraiment à celle des prêtres ouvriers et de leurs amis « rouges ». Pourtant Maurice sentait sans trop y attacher d’importance, les concordances, les croisements de certaines valeurs formulées différemment qu’il retrouvait dans le rituel du GODF. Il craignait pour son enfant. Cela faisait déjà quelques années que le gamin communiquait avec des représentants du gouvernement tibétain en exil à Dharamsala au nord de l'Inde, qu'il finançait avec son argent de poche les études d'une jeune exilée et s'abreuvait des ouvrages d'Alexandra David-Neel. Voyageant quelquefois sur les routes de France, il avait pu rencontrer le Dalaï Lama dans le Val de Loire à Blois lors de l'invitation de celui-ci par Jack Lang, le maire de la ville à cette époque. Rencontre qui allait sceller sa conviction à suivre cette philosophie de vie. Le moment qui lui confirma qu'il était bien face à un grand homme fut cette réaction d'une vieille dame près de lui sur le parvis du château de Blois lors de la visite - elle s'appelait Gilberte -. En présence du Dalaï Lama, elle dit à voix haute “ Je l'aime bien celui-là. Lui au moins, il n’est pas comme le pape qui fait tout le temps la gueule, lui, il se marre et sourit en permanence !” faisant sourire le maire de la ville passant devant elle.

Les craintes de Maurice étaient fondées et Serge vécut une horreur, peut-être pire que l'entrée dans une secte - ce que n'était pas la communauté installée à une heure du domaine -. Il se lia d’amitié avec un lama de passage. Qui s’avéra harceleur et abuseur, le clergé catholique n'ayant pas le monopole en termes de dérives et de déviances sexuelles, on les retrouve malheureusement dans toutes les religions.