Second flux traumatique - DONNER - FAIRE A... – Part 19
Yann : « Je vois des générations de femmes blessées qui se percutent les unes aux autres.
Les mères font du mal à leur filles, les filles font, a priori, du mal à leur mère, ce qui est un traumatisme tout aussi puissant que celui de subir. Raymonde (génération 3) se suicide. Ses filles aussi mais socialement comme émotionnellement, comme un refus du bonheur.
J.F T : La trajectoire observable d'accompagnement des enfants indique une réplique d'abandon similaire sur les deux générations et cela chez les deux sœurs de la génération 2 (Aline et sa grande sœur) et sur les plus petites de la première génération. Si on remonte à la génération 4, on trouve un double abandon des parents de Raymonde. Le père, malade chronique, disparaît du quotidien assez jeune et la mère (sujette à une dépression post-partum) est internée par sa propre famille qui s'en débarrasse pour des questions de traditions familiales et d'héritage, d’argent et de pouvoir (elle ne ressortira jamais de la clinique psychiatrique). Raymonde a alors deux ans. Elle est élevée dans un orphelinat payé par l’Arrière-grand-père Robert-François. Ici non plus, pas de transmission de femme à femme, la petite fille n'apprend rien de son corps, de sa matrice, de sa vulve et de leur utilité, de sa place de femme et des plaisirs associés, de son rôle possible dans le monde. Elle ne peut pas traverser le moment œdipien en l’absence des deux parents, et sans autre modèle parental sur lesquels se poser. Elle se retrouve donc bloquée à ce stade de la construction intime du petit enfant. Ce qui veut dire dans l’incapacité d’exister en tant que sujet unique et présent au monde regardant devant soi. Elle est retournée sur le vide de son être, un vide narcissique impossible à combler. La pulsion de vie ne trouvant d’autre trajectoire et de sens que vers le retour au néant. Quelle est la dynamique du fantôme ? Qu'est-ce que cela raconte qui a besoin d'être apaisé au point de ruiner des vies ?
- Cela pourrait être ici : « Fais sans moi » ou « Je ne suis là pour personne » ou « Pars, je n'existe plus » bien pire encore, la culpabilité associée y étant agressive, « Tu ne seras rien puisque je ne vaux rien.
- Regarde bien : initialement, La Grand-mère de Raymonde est morte en couche. Sa fille Alice, la mère de Raymonde est orpheline de parents (père hospitalisé pour longtemps) et se sent coupable de la mort de sa mère. Le scénario d’abandon « involontaire » se répète entre Alice et sa fille Raymonde qui se sent coupable. Responsable de la disparition de sa mère et en même temps elle lui voue de la haine. Fantôme d’abandon et de culpabilité. Victimisation. La dynamique entre mère et fille devient « Souffre et tue-moi je me hais ! »
- Mais Aline ne se suicide pas comme sa mère, sa sœur non plus d'ailleurs, il n'y a pas d'abandon physique mais il y a un abandon moral de l’être et de leurs identités de femme comme de maman. C’est l’expression d’une situation très carentielle.
- Qui fait rejet et abandon symbolique oui c’est ça. Elle organise, non consciemment bien sûr, je dirais même qu’elle instrumentalise ses filles afin que celles-ci ne l’aiment pas ou si difficilement que la pesanteur des maltraitances contraigne les enfants à prendre de la distance émotionnelle puis physique. Elle ne sait pas puisqu’elle n’a pas traversé ce moment, ce qu’est la finalité d’une triangulation œdipienne. Dans le discours elle veut faire mieux que sa propre mère, dit fréquemment tout faire pour ses filles mais ne fait que répliquer. Elle ne sait pas faire, elle fait mal ! C'est ce que lui renvoient ses filles.
- Donc si Lucie et Lisa ne se prennent pas en charge pour comprendre leur trajectoire avec ce fantôme, elles risquent de reproduire ce genre de tragédie, peut-être sous une autre forme, encore et encore, par exemple de ne jamais trouver de compagnon ou de compagne, d'être « abandonnées », « lâchées », « quittées » systématiquement... parce que « je ne mérite pas d'être aimée, je ne vaux rien, tu vas souffrir et me faire mal… »
- Oui, le fantôme envoie depuis la crypte au dedans de soi un « Souffre et tue-moi je me hais » protéiforme. C’est à Lucie et Lisa de faire la lumière, de désendetter la lignée familiale, chacune au regard de ce qui est véhiculé au fond d’elles. Et cela commence par ne plus alimenter la victimologie de leur mère. D’aller chercher de la nourriture affective chez une autre maman pour apprendre à être et de clarifier leurs racines. »