Quatrième histoire - De la sourde effraction masculine – Part 31
Le garçon eu la décence de ne pas parler de l'expérience plutôt désobligeante pour son narcissisme à ses copains qui lui valut quelques hésitations avec sa conquête suivante. Finalement, l'expérience lui permit de prendre le temps de trouver quelques chemins sensuels bien agréables avec ses futures partenaires de jeux en oubliant les préceptes débiles du porno dont il s'abreuvait pour enrichir son maigre vécu. Pour Alex, cela clôtura définitivement l'espace dans lequel elle ne voulait plus sentir la moindre présence masculine. Elle tentait d'imaginer un enfant et se rendit compte que cela pouvait être un garçon qui en grandissant en aurait tous les attributs. La question restait donc posée et le débat ouvert avec Joell peu encline à accueillir un bébé pour le moment, elle-même tributaire de ses démons. Et puis le rythme de la Fac ne permettait pas d'imaginer un instant avoir une charge supplémentaire à l'appart'. Joell voulait faire du Droit. Ça ne s'invente pas, après une enfance de « merde », des maltraitances morales et physiques ; après, on devient juriste, soignant, thérapeute, enseignant ou éduc-spé.… en général, du moins, la proportion est grande de professionnels ayant quelque chose à rendre ou corriger ou soigner de leur histoire d'enfant.
Mais comme rien n'est aussi simple, Alex suivait de son côté un cursus de modiste car aucun garçon ne se pressait dans la salle de cours. Il y avait peu de débouchés professionnels mais des cibles possibles dans la création de mode, la haute couture, le costume de théâtre ou de cinéma. Elle se souvint qu'enfant, elle avait visité la maison du "Lorrain" près de Charmes qui, jeune garçon devenu orphelin aurait dû faire boulanger par la force des choses et l’accueil d’un maître-artisan compatissant. Puis finalement, était devenu un des plus grands peintres classiques français. Ce digne modèle lui donnait la force d'y croire.
L'ombre à ce tableau étaient les trois cauchemars récurrents d'Alex. Dans l'un d’eux, elle se voyait dans un espace quasi-vide, posée ou flottante, sur une surface sans texture particulière ni couleur, et de loin arrivait une espèce de train, qui serpentait dans tout l'espace, à très grande vitesse. Quand celui-ci passait devant elle, malgré le mouvement des wagons glissants, le bruit des frottements des roues sur les rails, les masses d'air déplacées par la vitesse, son attention était attirée vers un objet au sol. Hypnotisée par cette chose, elle tendait la main et ramassait une petite branche d'arbre juste sous les roues des wagons, à chaque fois le même geste, à chaque fois la même branchette. Dans une sensation d'étouffement et de compression, une image et un son qui semblait de fin du monde, le train déraillait et tout ce qui existait disparaissait, apocalypse, néant - fin du cauchemar -
Dans un autre, elle se sentait déambuler dans les ruelles étroites d'une ville à l'allure moyenâgeuse. Elle était lasse et fatiguée. Elle ne savait pas vers où aller. Choisir cette ruelle ou cette rue ? Elle errait sans but précis, ne rencontrant que quelques personnes qui semblaient de vagues pâles figures humaines. Que faisait-elle dans cette ville ? Qu'y cherchait-elle ? Elle ne parlait à personne. Pénétrait toujours la même entrée maçonnée de pierres sombres. Puis, montait un escalier dans le noir et se jetait du haut d'une tour ou d'un immeuble. Elle s'envolait, planait tandis que la ville prenait feu. Frôlait les toits, tentait de prendre de la hauteur mais ne pouvait pas éviter un mur de flammes se dressant devant elle. Saisie de peur devant l'approche d'une effroyable douleur, elle entrait dans les flammes sans rien sentir. De l'autre côté du mur de feu traversé, elle s’emplissait de lumière, voyant le jour se lever jour. Elle volait dans un ciel clair. - Réveil -
Dans le troisième, elle était observatrice d’une scène se déroulant devant elle. Lentement, très lentement, des masses de matière molle blanc-cassé-rosâtres se rencontraient, se touchaient, se mêlaient et se distendaient pour se séparer puis de nouveau se mélangeaient avec la même lenteur et sans bruit. Ces mouvements répétés faisaient naître de la gêne, un malaise, du mal-être. Il y avait comme des parois sans lumière et pourtant, elle percevait tout de ces masses en mouvement. Deux, trois ou quatre formes, elle ne savait pas exactement, hésitait. Par moment, rayonnaient un court instant depuis l'intérieur de l'une ou l'autre des masses, une faible luminosité rougeâtre et peut-être un son lointain. Pas vraiment un bruit. Peut-être des frottements, des feulements ou des raclements, c'est tout ce qu'elle semblait entendre. Cela rappelait ces jeux décoratifs des années 1960/1970 où des bulles de matière liquoreuse se déplaçaient dans des tubes et se mélangeaient et se défaisaient sans fin. Mais dans ce rêve angoissant, il semble qu'il y ait une fin prévue, Alex le sent, cela a un but. Elle était tellement attirée par cette mouvance qu’elle la désirait et voulait la toucher. Pénétrant l'espace clos contenant les formes comme si elle avait le pouvoir de traverser les parois, une terreur la cisaillait à chaque fois qu’une masse s'approchait d'elle. Commençant à entrer en contact, ça la collait, la brûlait, stop - réveil –
Elle avait beau retourner les choses dans tous les sens, consulter des ouvrages sur les rêves et leur décryptage, ces trois-là restaient obscures pour elle. Du coup Alex lisait principales obédiences avaient un peu abandonné l'étude et l'analyse des rêves - or il y a bien un jungien réputé à Nancy. A Épinal elle s’était fait déconseiller les “psy” locaux mais entendit beaucoup de bien d'un de ceux de Charmes un peu plus haut sur la Moselle. Par manque de moyen financier pour aller jusqu'à Nancy régulièrement, elle alla chez Theud à Charmes de 2000 à 2001. Elle arrêtera la thérapie au décès du psy.
Ce fut aussi un moment de fuite dans les études pour Joell. Du coup, les deux filles ne firent plus que se croiser. Le temps passa et ce qui les faisait se soutenir, fusionner dans une alternance de résiliences complices - quand l'une baissait les bras, l'autre la réenclenchait en amour de la vie – s’estompât. Cette belle synergie ne fonctionna plus. Chacune tentant de se remplir seule sans l'autre. La distance s'installa, comme dans les vieux couples où chacun croit ne plus pouvoir émouvoir l'autre.
L'approche de la trentaine les cueillit par une rupture faisant table rase de leur longue et douloureuse trajectoire. Elles réussirent chacune leurs vies professionnelles mais sans autres projets. Virent leurs démons ressurgir au détour de l'abaissement, de leurs défenses, de l'intensité d'attention aux études et à l'autre.
Alex alla dans la vie hors maternité mais sans état d'âme à ce sujet.