Première histoire - Et mon gentil grand-père devint une bouse - part10
Fin des vacances d'été 1987. Tout va bien et tout le monde semble fatigué, reposé du quotidien mais épuisé par ces deux mois bizarres. L'alternance entre la tempête humide et la canicule frappe les corps et les âmes. Plutôt que d'y injecter de la lumière, cela y colle un gris poisseux.
La dernière semaine avant la rentrée, plutôt que de voir chez ses filles l’habituelle excitation de rentrée scolaire, Lorette voit de la tristesse. Les demoiselles restent sombres et manquent de vitalité. Les sacs sont neufs, les trousses remplies, quelques nouveaux vêtements et de belles chaussures neuves, elles aussi ne changent rien à l’affaire. Ça sent pourtant le plastique et le tube de colle des jours de rentrée scolaire.
La rentrée passe. Les premiers jours, les retrouvailles avec les copains et les copines, la découverte de nouveaux élèves ainsi que de la nouvelle maîtresse pour la dernière année d'école élémentaire pour Laure. Les retrouvailles avec la maîtresse qui est la même que l’an passé pour Manon. Le mois de septembre est pluvieux. Il est froid, il fait froid dans le cœur des filles. Il fait froid dans leur corps. Elles ne jouent pas, elles ne jouent plus.
Un lundi matin, fin septembre, Lorette ne dépose pas ses filles à l'école. Elle fonce chez son médecin avec les deux gamines et n'ira pas travailler ce jour-là, ni cette semaine-là. Elle ne peut plus travailler !
Octobre 1987, Lorette consulte dans un premier temps, sur les conseils de son médecin de famille, une psychologue de Versailles, pour "dépression" dit-elle, mais le courant ne passe pas, elle se sent culpabilisée par cette jeune professionnelle qu'elle sent lui reprocher - c'est son impression, une sensation, pas ses paroles vraiment - de n'être pas assez réactive pour reprendre en main son histoire. De n’être pas assez maman pour retrouver le lien avec ses enfants. De n’être pas assez femme avec son mari. Elle ne retourne pas chez la psychologue après trois séances et tente fin novembre un psychanalyste aussi à Versailles que des anciennes collègues de la maison de retraite lui ont conseillé. Bien sûr, elle n'a pas dit le fond de ses soucis à ses collègues mais simplement :
- Déprime, dépression peut-être, mais c'est passager les filles, ne vous inquiétez pas !
Deux séances de découverte, d'échanges un peu dirigés en face à face avant de commencer la thérapie analytique, puis ce sera le travail sur le divan. Terminé le face à face...c'est ce qu'il propose. Lorette trouve cela coûteux, beaucoup plus que la psychologue, mais ne pas voir le regard de l'autre l'arrange et elle va s'engager quelques mois dans ce processus analytique. En plein hiver 1988, elle craque, marre d'être une mauvaise mère, d'être une mauvaise épouse, d'avoir eu une mère tout aussi mauvaise qui lui a montrée une vie d'épouse pourrie ! Marre de ce psy ! Marre de ses silences, de ses interprétations "foireuses" et " inutiles" pense-t-elle. MARRE !
Malgré la dépression qui la ronge, elle a été obligée de reprendre le travail pour ne pas le perdre et pour continuer à vivre, tout simplement. Et, se confiant un jour à sa directrice, elle lui dit que chez elle c'est difficile, son mari distant et absent - elle ne parlera pas de ses filles -, autant physiquement la semaine qu'en terme de tendresse ou de communication. Celle-ci lui indique une connaissance à elle qui fait de la thérapie de couple, un sexologue psychothérapeute « pas trop verrouillé psychanalyse traditionnelle » et qu'elle peut aller voir seule dans un premier temps afin de sentir si le contact peut passer.
Septembre 1988, plus d'un an après les vacances scolaires d'avril et de l'été 87, Lorette va rencontrer ce thérapeute et commencer un chemin avec lui qui la fera plonger dans sa face sombre.
L'approche est plus simple avec lui parce que les deux autres avants ont déjà amorcé le questionnement. Elle commence par exposer sa situation et ce vécu stérile avec son mari, ou ce qu'il reste de leur mariage - sans parler des obligations conjugales de fin de semaine et des violences - ça, elle en parlera plus tard - et son quotidien au travail. Elle parlera aussi de ses filles mais très rapidement. Se concentrant sur son couple et cela durant quelques séances. Finissant par parler de leur intimité, Lorette dira aussi que Laure et Manon sont suivies par une éducatrice et une psychologue scolaire, sans plus. Et reviendra sur le couple.
Le thérapeute respecte et l'accompagne à son rythme notant au passage les crispations de son corps dans le fauteuil, la violence interne des émotions contenues.
Puis un jour de rendez-vous, elle ne vient pas. Le thérapeute note l'absence. Au fil des semaines qui s'écoulent, il cherche à prendre quelques nouvelles. Il lui envoie un courrier indiquant qu'elle doit au moins la première séance non annulée et précise la possibilité de reprendre le travail à son choix. Pas de réponse.