Première histoire - Et mon gentil grand-père devint une bouse Part 11

 

Lorette, la veille de cette ultime séance manquée, vomit toute la nuit. Georges n'en est pas plus affolé que cela mais quand au matin il la voit charger la voiture de sacs, attraper les filles, les asseoir dans l'auto il commence à paniquer. Manon et Laure ont des visages fermés. Georges interroge du regard sa femme, aucun son ne peut sortir de sa gorge serrée d'inquiétude.

- Georges, je ne peux pas rester ici, je monte dans les Vosges chez ma cousine Annie, j'emmène les filles. S'il te plaît, pas de question. Et si tu veux me rejoindre bien sûr tu viens. Les filles ont besoin de leur papa. Déménage la maison, vends-la et, désolée… j'ai démissionné… et puis fais comme tu le sens. Je ne peux pas… plus, on part !

Elle l'embrasse finalement tendrement et il a juste le temps de faire une accolade à ses filles que la voiture démarre s'éloignant vers Paris puis direction Nancy.

Annie vit avec mari et enfants à Vittel, en Lorraine. Le couple accueille sans question et sans souci dans leur grande ferme - ils sont producteurs de produits laitiers - la cousine et leur nièces, tristes toutes les trois. Il ne faut pas longtemps au cousin et ses relations pour trouver un nid et un job à Lorette.

Quelques mois plus tard, Lorette ouvre la porte du cabinet de J.F Theud à Charmes.

Après quelques semaines, sous la pression du travail analytique commencé auparavant - le thérapeute la voyant une fois par quinzaine - elle finit par s'écrouler en larmes, pleurant sa honte et sa culpabilité, disant que ses filles ont été abusées et qu'elle aussi enfant ! Que c'est uniquement sa faute, que c'est elle qui a mis ses filles entre les sales mains du monstre, de leur bourreau. Il se tait sans lâcher le regard, sans geste. Et elle lui raconte.

Ses filles sont rentrées un peu chiffonnées de leurs semaines de vacances d’août chez papy et mamy. Lorette a cru au début que c'était un effet de la fin des vacances. Le stress de cette seconde expérience, beaucoup plus longue que la première. Mais en les aidant durant leur toilette le dimanche soir, elle a trouvé leurs réactions bizarres, refus de contact, gêne avec leurs corps, évitement, enfermement sous la douche, regards fuyants avec elle - pourtant il n'y avait pas tant de pudeur auparavant -. Le soir, idem et refus de contact avec Georges, qui s'en fichait de toute manière. Elle s'est inquiétée de ces comportements et leur demandant ce qui se passait :

- Rien, on est fatiguées !

Les vacances dans le Médoc ont semblé bien se dérouler et les filles jouaient sur la plage avec leur maman tandis que Georges lisait ou flânait de ci de là. Après la première semaine d'école, c'est Manon qui va lui parler la première des jeux d'Albert qu'elle n'avait pas aimés mais "qu'il ne fallait pas raconter". Voyant Laure se recroqueviller en entendant sa sœur Manon esquisser ce qu'elle nomme « des jeux », Lorette voit ! Des images terribles jaillissent et reviennent lui lacérer l'esprit. Tétanisée, elle stoppe ses questions et laisse ses filles passer une nuit à se reposer tandis qu'elle ne dort pas. Le lendemain matin, lundi, elle va chez son médecin avec ses deux filles, passe devant tout le monde en force, sans se préoccuper des remarques, commentaires et cris des patients courroucés. Il constate en effet que les filles ne vont pas bien dans leur corps et ont peur de lui alors qu'il les a quasiment vu naître et comme tout médecin de famille, les suit régulièrement.

Pour ajouter de la lave liquide dans le sordide, un jour elle décide de partager la misère de ses filles avec sa mère. Isolées au fond du jardin, les hommes endormis, elle lui raconte. Sa mère ne sourcille pas, ne répond rien, arrachant des herbes de-ci de-là.

Après un silence, elle apprend de la bouche de sa mère qu’elle aussi avait subi petite des attouchements de son propre père, les fameux "jeux".

- Papa, euh, ton grand père est malade de ça ! Mais il ne faut pas l'ébruiter, ça serait mauvais pour nous tous tu comprends.

- Tu te rends compte de ce que tu dis ?

- Du calme, ma fille, ça passe, on s'y fait avec le temps, c'est comme tout, il faut accepter les besoins des hommes, non ? Les filles oublieront.

Lorette ne sait pas quoi dire à ça. Elle est affligée. Elle n’écoute pas la dernière phrase que lui lance sa mère, qu’elle reçoit dans un brouillard épais. Sortant de la sidération et devant cette dernière réflexion totalement insupportable, furieuse, elle sort de la maison en claquant les portes sans un regard pour sa mère qui la regardent partir sans vraiment comprendre ce qu'elle a et la portée de ses paroles.