Première histoire - Et mon gentil grand-père devint une bouse - Part 07
Le château qui abrite la maison de retraite est un écrin nacré installé au milieu des bois. Une bâtisse du XVIII siècle maintes fois rénovée, remplie de nostalgies du siècle des lumières et d'un romantisme qui sied bien à ces vieilles personnes voulant finir leur vie tranquillement et amoureusement pour quelques- uns. Cela lui est presque plus agréable d'arriver le matin au boulot que de rentrer dans son pavillon standardisé, froid et triste. Il serait mortel s'il n'y avait les filles.
La Directrice du Clos de la Duchesse - le château ayant appartenu à La Duchesse d'Uzes, - ça fait " chic "- l'aime bien depuis son arrivée, et comme elle fait bien son travail, en étant serviable au possible pour des remplacements, des nuits et pour des heures supplémentaires, sauf accident de planning et absences en maladie de collègues, elle lui donne tous ses congés, respectant sa vie de famille - elle respecte uniquement ces périodes là – sauf aujourd’hui, elle n’a pas d’autre solution.
Ce lundi donc, réfléchissant à ses parents en arrivant devant chez eux, elle se dit que oui, ils étaient déjà venus chez elle. Quelques rares week-ends et toujours quand elle était d'astreinte avec un Georges occupé ailleurs, avec ses copains de foire ou des sorties pseudos sportifs. Plus rarement encore, certains soirs où elle travaillait de nuit et que Georges et sa voisine étaient absents. Mais si peu… c'était si rare, deux fois en dix ans depuis la naissance de Laure.
Alors pourquoi n'arrivait-elle pas à prendre le temps d'aller chez eux ? Était-ce cette organisation professionnelle et familiale qui depuis toutes ces années freinait le lien et le partage avec eux ? Sans doute...
Il y avait aussi la présence du grand-père maternel, Albert G, - grand-père de Lorette - vivant chez Valentine depuis quelques temps, sa fille - la mère de Lorette -. La perte de sa femme Suzanne - grand-mère maternelle - en 1985 et l'apparition de quelques soucis de santé avaient amené Valentine et Roger à l'accueillir chez eux. La situation semblait mieux gérée - apparemment - en famille qu'en hôpital ou maison de retraite. Les soins à domicile furent possibles mais vite stoppés car beaucoup trop chers pour lui.
Pourtant, Valentine avait été fâchée avec ses propres parents durant plusieurs années au point de n'avoir aucune nouvelle dans les trois années qui avaient précédé la maladie de sa mère. C'est ce qui avait motivé sa décision d'accepter son père chez elle afin de faire oublier ce proche passé de vide de lui, et d'elle – la culpabilité.
Albert, homme chaleureux mais vieillissant était difficile à accompagner au quotidien, une lourdeur humaine. Il passait le plus clair de son temps à flâner dans le jardin de la maison ainsi que dans le petit parc aménagé par la commune. Il suivait le fil de son chemin de Compostelle des troquets du village, sagement, paisiblement l’un après l’autre. Son lieu de prédilection était tout de même le parc, pour la tranquillité et les sons d’enfants y jouant. Et surtout il adorait se plaindre de tout et de rien à qui voulait bien l'entendre - l'écouter – les parents et nounous des marmots étant des proies faciles.
Un plaisir particulier consistait à mettre à mal la patience de sa fille et de son gendre - au quotidien par des accidents de la vie, des choses qui tombent et se cassent, des repas souillant ses vêtements, une hygiène quasi-absente sauf quand il voulait sortir dans ses balades -. Il se fichait bien que ceux-ci fatiguent et fulminent. Il arrivait à sa fille de le menacer de l'emmener à l'hospice déclenchant un sourire narquois chez le vieillard.
- Vas-y, essaye et tu auras les services sociaux au cul ! Je porterai plainte pour maltraitance !
Un jour, les gendarmes l'avaient ramené à la maison, ivre et les vêtements abîmés, après une altercation avec un villageois qui s'était terminée sur le trottoir devant le bar des sports du centre du village. L'origine de la dispute était inconnue, à priori, les gendarmes n'en avait pas dit grand-chose et les autres villageois présents n'en dirent rien ou n'en savaient rien.
Les gendarmes avaient pourtant l'air d'en penser quelque chose et de le connaître. Alors qu'il n'était présent dans le village que depuis deux ans.
Albert aimait bien Lorette, il la réclamait souvent. Il voulait voir ses petites filles aussi, qu'il n'avait quasiment pas vues depuis leurs naissances. Quelques rares fêtes de famille, un noël sur deux, les naissances des demoiselles, l'enterrement de mamy Suzanne... Cela se résumait à ces quelques moments.