Première histoire - Et mon gentil grand-père devint une bouse Part 08

 

Il pensait que Lorette ne venait pas le voir car très occupée par son travail et sûrement aussi pour éviter sa mère, sa fille à lui. Il y a toujours ce sentiment dans les familles que les filles et les mères ne peuvent pas véritablement s'entendre, qu'il y a une compétition entre la plus jeune détrônant la plus vieille qui ne le supporte pas. Ici, il voyait peut-être juste, elles se faisaient la "gueule "- réellement - depuis le début de l'adolescence de Lorette. Époque où ils venaient souvent chez lui, passer des vacances, des week-ends, des fêtes de familles, en couple avec le gendre ou seules entre filles. Époque où la vie allait bien, Albert avait un bon travail - sa maison bourgeoise de Rambouillet le prouvait bien -, une belle situation de direction d'une petite entreprise installée à Paris et en expansion à l'international, enfin la Belgique et les Pays-Bas. Un revers de fortune professionnelle lui fera perdre tous ses biens, l'obligera à vendre sa maison pour payer ses dettes et fatalement, le plaça à la merci du bon vouloir de la collectivité, des créanciers, des huissiers et… de sa fille unique depuis le décès de sa femme.

Valentine n'avait eu elle aussi qu'une fille - fille unique suivie d'une fille unique ! - « et par accident !» à dix-sept ans. On l'avait vite mariée pour effacer " LA faute ". Pourtant, Albert et son épouse avaient voulu plusieurs enfants mais après la première, des soucis de santé de sa femme avaient reporté toujours à plus tard l'avènement d'un autre enfant jusqu'à ce que cela ne soit plus possible - du moins dans le cadre socio-culturel de cette époque et face à la situation sociale de la famille. Le milieu bourgeois de Rambouillet ne s'embarrassant pas de nombreux enfants - successions obligent - avec des épouses modèles qui ne devaient en aucun cas ni porter les stigmates de la maternité, ni quémander un quelconque plaisir dans la vie -.

Le 5 avril 1987 à 8h, Manon et Laure s'installent avec quelques jeux et quelques vêtures, au cas où, chez leur jeune grand-mère Valentine qui n'a pas encore cinquante ans. Elles sont accueillies joyeusement, depuis le temps qu'on les attend ! Et surtout, c'est la première fois qu'elles vont passer tant de journées de vacances avec eux, et chez eux. Déjà, dans la tête des grands-parents, des sorties sont élaborées, des jeux sont pensés, les repas sont programmés... Cette situation est exceptionnelle. L'accueil doit l'être aussi. L'arrière-grand-père, informé la veille, est aux anges, si heureux de les voir ces petites, ses arrières-petites filles. Il les imagine souriantes et en pleine forme, grâce aux photos du salon.

Elles aussi sont contentes, surtout de ne pas être au centre de vacances communal avec ceux du village et des environs, parce que c'est rigolo quelques jours, de revoir les copains d'école mais à la longue et à chaque période de vacances, cela devient lassant.

Là, elles découvrent un nouveau terrain de jeux, qu'elles connaissent peu, ou pas, elles n'en ont que de vagues souvenirs.

Valentine leur montre les lieux, l'ensemble de la maison qui commence à vieillir et aurait besoin d'un bon coup de peinture partout, le jardin mal entretenu par papy, leurs chambres où elles peuvent se reposer si besoin. Pas la chambre de l'arrière-grand-père, elle est trop sale et ça ne sent pas bon et puis il dort encore, tout comme papy. « Les hommes ça n’a pas d'jus, ça ne sait pas se lever d'bonne heure ». Il faut préciser que les hommes sont nettement plus âgés, son mari, « papy », a cinquante-six ans et l'arrière-grand-père Albert va vers ses soixante-quinze ans -. Elle leur offre un petit déjeuner complémentaire, le premier avec maman a été bref.


Les hommes feront leur apparition vers neuf et dix heures, l'un après l'autre. Roger suivi de près par Albert. A ces âges, on a le temps. Chacun son rythme et son organisation. Papy est bougon et distant. Il ne les connaît pas ces petites et s'en fiche un peu à cette heure de la journée. Albert est plus enthousiaste, il les arrose de questions pour les connaître, maintenant qu'il a la main sur elles, il veut tout savoir. Il en profite pour proposer des activités et des sorties, à la boulangerie du village - pour des bonbons bien sûr -, au parc du centre pour les jeux et les autres enfants. Il leur raconte des histoires du bon vieux temps, de quand leur mère était petite et qu'il avait une grande maison où on pouvait jouer à cache-cache pendant des heures sans se lasser.

Les jours vont se suivre, similaires sans vraiment se ressembler tout à fait. Chaque soir, vers 18h30, Lorette va venir chercher ses filles, enchantées de leur journée et pressées de revenir le lendemain pour de nouvelles aventures, surtout avec Albert.