Première histoire - Et mon gentil grand-père devint une bouse - Part 06

 

Les parents de Lorette ont reçu avec joie cette demande tout à fait exceptionnelle. Ils l'ont programmée sur l'agenda perpétuel dépouillé qu'elle leur a offert à Noël.

C'est vrai que jusqu'ici, elle s'est organisée pour avoir ces fameux congés ou bien pour inscrire les filles dans les centres de vacances du village ou d'une commune proche. Georges ne prend jamais de congés en dehors de deux semaines l'été et encore moins pour s'occuper de ses filles qui semblent pour lui plus un poids qu'un plaisir. Certains week-ends quand sa femme travaille, est d'astreinte ou doit faire un remplacement impromptu, contraint de s'en occuper, il se fait remplacer par télé-nounou. Si elle doit faire des remplacements de nuits quand Georges n'est pas là, c'est une voisine qui garde les filles, option qu'elle déteste. Mais jamais les grands-parents.

Lundi matin 7h30 : Elle s'étonne ce matin-là, en chemin, de remarquer que depuis la naissance des filles qui ont aujourd'hui dix ans pour Laure et huit ans pour Manon, elle ne les a jamais confiées à ses parents. La vie s'est déroulée tranquillement, d'une certaine manière, mais aussi en tension à cause de l'absence récurrente de Georges. Toutes les charges sont sur ses épaules, toutes les corvées de la maison, les courses, les devoirs des enfants… elle assume, missionnée plus que victime.

Il fait jour mais le ciel est gris. C’est un lundi matin, un début de semaine. La route est encore humide de la pluie de la nuit. Les filles sont à peine réveillées et elles attendent le petit déjeuner qui sera pris chez papy et mamy.

- Ça va aller les filles ?  

- Oui mamoune ! répondent-elles en chœur.

- Je vous fais confiance pour être gentilles avec papy et mamy.

- Bah normal, c'est d'accord, assure Laure.

- V’oui m'an c'est promis ! complète Manon.

Elles arrivent devant la maison des grands-parents.

Lorette regarde dans le rétroviseur ses deux filles souriantes bien emmitouflées dans leurs vêtements imperméables chauds. Elle se regarde aussi, se trouve triste, fade et trop blanche, pâle, très pâle. Fatiguée et peu appétissante pour une femme d'à peine trente ans.

Sa vie de femme a disparu depuis de nombreuses années. Elle ne fait pas attention à elle, centrée davantage sur l'utilité et l'efficacité que sur l 'apparence. Une mère et une professionnelle avant tout. Pas le temps d'activités en dehors du travail, de son foyer et de ses deux enfants. La vie amoureuse, si on peut nommer cela comme ça, se résume à préparer le retour de son mari les fins de semaine. Ces moments tendus où Georges la ramène au fameux devoir conjugal. Une saloperie de rencontre charnelle obligatoire, quelquefois forcée - à cette époque, le viol conjugal n'existe pas encore dans les esprits bien qu'existant déjà dans la Loi -. Les moments intimes, sans tendresse préalable, sans enthousiasme de son corps se font à chaque fois sans plaisir, voire sont douloureux quand son corps se verrouille ou que l’autre pue l’alcool. Durant tous ces moments, elle sait ou bien imagine, qu'il n'a pas dû trouver matière à se distraire dans son périple commercial. Alors si le cœur n'y est pas, le corps ne dit rien et l'esprit s'évade un peu... elle se chante le refrain de la chanson de Brassens « 95% des femmes... » et sourit tandis que l'autre jouit tel un animal au rut nauséabond, éjaculateur précoce en deux minutes et demi-chrono. "Sois fair-play" se dit-elle, il lui arrive de performer jusqu'aux frontières potentielles du plaisir féminin avec une dizaine de minutes coïtales, en théorie parce que pour Lorette, il s’agît de rêves, même pas de fantasme, et de représentations intellectuelles. Elles proviennent de ses lectures, pas de son expérience. Jamais elle n'a eu d'orgasme, elle ne sait pas ce que c'est, ni comment on y va. Finalement en y pensant quelquefois, elle se rend bien compte que la vie au sein de la maison de retraite est plus riche et plus souriante que chez elle. Les collègues semblent avoir des vies similaires à la sienne, même si elles n'en disent pas grand-chose. Il y a beaucoup de pudeur chez ces hommes et ces femmes thérapeutes du quotidien des résidents. Ça la rassure et la normalise, elle vit la même chose que les autres, donc c'est la règle et la finalité du jeu. Les résidents sont certes, vieillissants, mais sauf ceux qui perdent vraiment la tête - sénilité, Alzheimer -, ils sont gentils, vivants et/ou très cons donc vivants ! Comme certains vieux toujours à l'affût d'une fesse ou d'un sein, d'une cuisse, d'un frottement, d'un frôlement. D'autres sont amoureux et ça la dégoûte un peu d'imaginer ces vieux s'embrasser ou se toucher voire... beurk ! Non, ça ce n'est plus possible, " un vieux ça ne baise pas !" pensait-elle en les regardant du coin de l’œil. "C'est comme si mes parents… impossible ! "