Retour chez Yann Delorian - Part 04 (Chamagne dans les Vosges)

 

Seul dans l’atelier de mon Estelle dédiée à son nouveau job, une passion qui lui est née à la suite de notre première enquête, je regarde accrochés sur un mur les arbres de vie des quatre familles que je viens délicatement de ressortir des archives. L’un après l’autre, je les observe comme des territoires de mémoire pas si bien connus que je ne le pensais. Notre groupe de généanautes autocréé autant qu’improvisé avait pu récupérer des éléments complémentaires aux notes du sexologue décédé JF.Theud. C’était transgressif. On le savait. Personne ne nous avait rien demandé sauf peut-être la mémoire en moi de mon thérapeute et de mon frère Serge. Mon frère inconnu et mon psy mort trop tôt avec lequel je venais de commencer à entrer en contact avec mon propre inconscient familial. Alex, une des descendantes de la grande lignée avait accepté de suivre notre périple final, de prendre la main et reprit contact avec le clan Vireley à notre satisfaction, nous montrant que tout travail sur son arbre familial aussi laborieux soit-il peut porter des fruits libérateurs. Je prends le temps de sortir les dossiers et relire ces quatre trajectoires de vie. Doucement, des images montent en mon esprit de tous ces lieux, de ces personnes rencontrées et de leurs parents et grands-parents, de celles et ceux qui n’ont pas voulu savoir, celles et ceux qui ont cherché à comprendre pour avancer dans leur vie. Viennent aussi les vignettes de ces bouts de vie abîmés, irréparables, blessés, bloqués ; mais aussi de ceux qui en ont été ranimés. Il y a eu comme une impression de résilience chez certains. Des ressentis sont là. Replonger dans ce bouillon de vies est hypnotique. Mes yeux suivent les liens, remontent les tracés, rebondissent de prénoms en dates, de lieux en métiers, de maladies en fêlures, brisures, disparitions et autres fractures dans les lignées. Les couleurs des inscriptions, nos codes symboliques m’envahissent d’une manière troublante, ils se mélangent aux paysages. Cela fait longtemps et pourtant c’est toujours présent. Tous les quatre avions révélés nos propres histoires au travers de celles-là. Comme si certaines choses étaient tellement symboliques, fondamentales, universelles comme ces mythes archaïques qu’automatiquement elles servaient de clefs. Qu’elles ouvraient nos portes intérieures, une frondaison vivifiant un chemin, nous indiquant la direction de nos propres cryptes. Quand bien même chaque histoire de vie est unique. Elle est universelle. Elle est VIE. Un instant je fatigue, mes yeux picotent et un thé vert bien chaud me ferait du bien. Mes jambes pourtant rechignent, elles ne bougent pas, elles ne veulent pas suivre la pensée. Je reste là immobile. Une impression désagréable me traverse. J’entends des pas dans la pièce alors que je suis seul. Une brique de mémoire lointaine remonte à ma conscience. Ce ne peut tout de même pas être à nouveau Serge… ? J’ai tout compris de lui et clarifié mon historie avec mes parents ! Une silhouette… « Bonjour Yann. Comment vas-tu depuis notre dernière rencontre ?

  • Vous ? Monsieur Theud ? Mais vous êtes…

  • En balade ailleurs, en voyage depuis quelques temps oui. Mais à l’instant avec toi. Tu es surpris à ce point ?

  • Je ne comprends pas. Ce n’est pas possible de vous voir ici. Je vous rêve là. Je dors.

  • Peut-être mon garçon, tu sais bien que les fantômes ne sont qu’en soi. Donc à ce que je vois tu te replonges dans les tréfonds traumatiques des Vireley. Ça te hante encore ces histoires ? Que comptes-tu trouver que tu ne saches pas déjà ?

  • J’imagine trouver de nouvelles clefs qui peut-être me servent à me comprendre moi. Plus Estelle avance dans la psychogénéalogie et suit vos traces finalement, plus je lis sur le sujet et me questionne sur ces fantômes qui traversent les lignées familiales. Jusqu’où remonter quand on ne trouve pas rapidement l’épicentre du mal initial ? Comment être clair quant à la manière de formuler l’injonction, la dette, le mandat ou le message venu du fond de soi ? Comment être sûr que cela ne se répète pas…Serge…

  • Vaste sujet Yann. Tu veux que je t’aide à les revisiter ? Oui je le sens.

  • Comment faire cela ? Relire la synthèse de vos notes avec nos enquêtes et les analyser ?

  • Bien sûr, mais doucement, depuis notre place, c’est à dire extérieure à eux mais face à leurs territoires partiellement cartographiés. A notre échelle de compréhension car la vérité n’existe pas en dehors du présent. Et à notre mesure bien évidemment car nous devons accepter de ne rien savoir de définitif. Souviens-toi que je les ai toutes accompagnées, ces familles, du moins j’ai consulté un enfant de chacune des lignées.

  • D’accord et tout à l’heure, pardon de mon étonnement, j’ai cru que Serge était revenu. Quoi que vous avec moi ici ne soit pas mieux dans l’absolu n’est-ce pas ?

  • C’est bien de cela qu’il s’agît. Je le sens bien. Tu penses avoir tout rangé et tu crois qu’en revisitant le chemin des Vireley, tout comme la première fois, des clefs te viennent pour visiter ton pays intérieur. Afin d’être certain que rien de compliqué venant de tes racines ne se soit posé sur les épaules de ton enfant. Estelle fait de même à sa manière je crois en devenant professionnelle dans ce domaine.

  • Oh elle avait déjà pris de l’avance et commencé son cheminement avec ses premières études universitaires en psy. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, c’est la plus fine de nous deux sur le sujet.

  • Chaque constructeur de vie cisèle à sa façon sa participation au monde mon garçon. »

Le Chamagnon de la « Taupe », rue Claude Gelée (Le Lorrain) face à la maison de Yann Delorian  à  Chamagne (88) 

Issu du site tripadvisor.fr

 
Alexis Lebron